La santé scolaire est un dispositif qui participe à la réussite scolaire des élèves et à la réduction des inégalités en matière de santé. La Cour des comptes en fait un bilan peu satisfaisant et demande la réorganisation de ce dispositif de l'éducation nationale.
Les médecins et les personnels de santé scolaire
Synthèse
Les médecins et les personnels de santé scolaire exercent des missions dont l’importance
est reconnue au sein de l’éducation nationale mais qui apparaissent comme une priorité de
second rang au regard du cœur de métier du ministère : la mission d’instruction.
Le bon exercice des missions de ces personnels est pourtant une des conditions
essentielles de la réussite de la politique éducative ; il constitue aussi une contribution
importante à la politique de santé publique.
Ces enjeux sont identifiés par la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’école de la
République qui a assigné à la santé scolaire deux objectifs : réussite scolaire et réduction des
inégalités en matière de santé. Le projet d’une école inclusive, capable d’accueillir tous les
enfants, quelles que soient leurs difficultés de santé, n’est en outre réalisable qu’adossé à un
dispositif de santé scolaire performant. Pour la politique de santé publique dont la prévention
est une priorité, la santé scolaire est, comme la protection maternelle et infantile (PMI), un
dispositif crucial en raison des objectifs de dépistage obligatoires qui concernent toute une
génération, notamment à la 6e
année des enfants scolarisés.
Or le dispositif de santé scolaire, qui s’appuie non seulement sur les médecins et les
personnels infirmiers et de service social, mais aussi sur les psychologues de l’éducation
nationale, fort au total de plus de 20 000 équivalents temps plein, connaît des difficultés
endémiques sur lesquelles l’attention des pouvoirs publics est régulièrement appelée.
Une pénurie de médecins scolaires
Pour les élèves, les familles et les équipes éducatives, la santé scolaire est surtout incarnée
par les personnels infirmiers : ce sont les professionnels de santé les plus nombreux (près de
8 000 équivalents temps plein), les plus disponibles tant pour l’accueil des élèves, avec des
compétences très larges au titre des consultations infirmières, que pour l’éducation à la santé
en lien avec les enseignants. Ils sont particulièrement présents dans les établissements du second
degré qui sont leur lieu d’affectation. Le taux d’encadrement infirmier des élèves s’est redressé
depuis plusieurs années pour s’élever à 1 300 élèves par personnel infirmier fin 2018.
L’activité des médecins, beaucoup moins nombreux (moins d’un millier d’équivalents
temps plein), est largement absorbée par les bilans de santé individuels obligatoires et
l’adaptation de la scolarité des élèves à besoins éducatifs particuliers, en situation de handicap
ou atteints de pathologies chroniques.
Bien que des crédits soient ouverts, un tiers des postes de médecins de l’éducation
nationale (contractuels compris) sont vacants et le nombre de médecins scolaires a chuté de
15 % depuis 2013. Ainsi le taux d’encadrement des élèves s’est dégradé de 20 % en cinq ans
pour atteindre en moyenne nationale un médecin pour 12 572 élèves en 2018. Le taux
d’encadrement a chuté dans 75 départements et dans 31 d’entre eux au-delà de 40 %.
Les médecins et les personnels de santé scolaire - mai 2020
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8 COUR DES COMPTES
Le ministère bute sur des difficultés pour renouveler des effectifs vieillissants pour
lesquels les prévisions de départs en retraite excèdent largement le rythme annuel de
recrutement par voie de concours qui ne permettent de pourvoir que moins de la moitié des
postes offerts. Ce problème, qui tient d’abord à la démographie médicale d’ensemble, dépasse
l’éducation nationale, même si elle a tenté d’améliorer l’attractivité du métier par une
revalorisation des rémunérations, sans effet décisif jusqu’ici.
Pour autant, ce seul facteur ne saurait expliquer la performance très médiocre de la santé
scolaire.
Une performance très en deçà des objectifs de dépistages obligatoires
due à une organisation défaillante
En dehors des dépistages obligatoires, médecins et infirmiers s’investissent dans le suivi
des problèmes de santé des élèves, qu’il s’agisse, en lien avec les familles, de leur accès aux
soins et de l’aménagement de leurs conditions de scolarité ou de procéder à des consultations
médicales ou infirmières à la demande de l’équipe éducative, de l’élève ou de sa famille. En
cas de maladie transmissible survenant dans le cadre scolaire, ils organisent la réponse sanitaire.
Dans cet ensemble de missions, les dépistages obligatoires demeurent néanmoins des
moments-clés du parcours de santé de l’élève. Or, entre les années scolaires 2013 et 2018, le
taux de réalisation de la visite de la 6e
année de l’enfant par les médecins scolaires, déterminante
au début des apprentissages scolaires, a chuté de 26 %, taux déjà historiquement bas, à 18 %.
Moins d’un enfant sur cinq en bénéficie alors qu’elle est en principe universelle. Ce taux moyen
recouvre de fortes disparités : sur les 99 départements pour lesquels un taux a pu être calculé,
34 sont en dessous de 10 % de réalisation tandis que 20 ont un taux supérieur à 30 %.
Le bilan infirmier de la 12e
année a progressé mais n’est réalisé que pour 62 % de
l’ensemble des élèves et, pour ceux des établissements publics, qu’à hauteur de 78 %. La charge
moyenne annuelle par personnel infirmier est estimée à 83 bilans (106 avec l’enseignement
privé) ce qui constitue un niveau de performance à atteindre dix fois inférieur à la charge des
médecins pour la visite de la 6e
année (803). La charge par département va de un à trois,
illustrant une allocation des ressources infirmières loin d’être optimale. Les départements
ruraux sont plutôt relativement bien dotés en raison du nombre plus élevé de collèges de petite
taille.
En l’état actuel de la législation, les visites médicales d’aptitude, préalables à l’affectation
à des travaux réglementés pour les élèves mineurs de l’enseignement professionnel, doivent
être toutes réalisées, quitte à mettre en place des solutions complémentaires ou palliatives par
des consultations médicales externes, ce que seuls quelques établissements ont fait. Elles ne
sont effectives que pour 80 % des lycéens concernés pour les seuls élèves du public et ne sont
systématiquement faites que dans 60 départements. Cette situation expose les élèves à de
potentiels accidents de formation et met en jeu la responsabilité des chefs d’établissement
d’enseignement professionnel. On compte du reste parmi les élèves des filières correspondantes
de l’enseignement professionnel beaucoup de jeunes en situation de fragilité sociale et familiale
pour lesquels l’accès aux soins est réduit, voire inexistant, la santé scolaire représentant alors
leur seule chance d’être examinés par un médecin.
Les difficultés persistantes de la santé scolaire, dotée de 1 260 M€ en 2019, ne tiennent
pas à un manque de moyens budgétaires : sa masse salariale a cru de 12 % depuis 2013.Un effort important a été consenti pour mettre à niveau les dotations en personnels
infirmiers : leurs effectifs ont augmenté de 40 % en 20 ans, alors que les effectifs scolaires sont
restés stables, et depuis 2013 de 4 %. Sur cette dernière période, la croissance des effectifs
d’assistants sociaux et de psychologues a été respectivement de 9 % et de 5,2 %, avec un effort
particulier pour les psychologues affectés au premier degré d’enseignement, soit 9 %.
Par ailleurs, le ministère dispose des emplois nécessaires pour recruter 30 %
supplémentaires de médecins de l’éducation nationale. Certes, pour rendre attractifs les emplois
de médecin, une revalorisation salariale significative est indispensable, et justifiée dès lors que
la médecine scolaire s’inscrirait dans un cadre de travail plus propice à l’organisation et au suivi
au suivi de l’activité. La Cour recommande de faire cet effort. Cette revalorisation pourrait être
facilitée à terme par un rapprochement du corps des médecins de l’éducation nationale avec
celui des médecins de santé publique.
En fait, la santé scolaire souffre des failles de son organisation et de son défaut de pilotage.
Preuve en est que la corrélation entre taux de réalisation des visites et taux d’encadrement
sanitaire est loin d’être systématique : les taux de réalisation de la visite de 6e
année peuvent
être équivalents pour des départements dont la charge de dépistage par médecin va du simple
au double, voire au triple ; les taux de réalisation des bilans de la 12e
année ne sont pas corrélés
aux ressources en personnels infirmiers.
Cette situation s’explique par l’opacité de l’exercice des activités et le cloisonnement des
personnels et des services, deux facteurs qui limitent fortement la conduite de l’action publique.
L’opacité d’un dispositif qui ne rend pas compte
et échappe à toute évaluation organisée
Les taux de réalisation des dépistages obligatoires proviennent d’une enquête directe de
la Cour auprès des services des rectorats et des DSDEN car le ministère ne dispose pas de cette
information, en raison d’un boycott des statistiques par certains personnels depuis plusieurs
années. Tout en la déplorant, l’administration laisse perdurer cette situation inadmissible. Les
responsables académiques et nationaux n’ont ainsi qu’une vision très vague de l’activité et de
la performance des services de santé scolaire.
Faute d’une information statistique fiable et continue, l’évaluation de l’activité, de
l’efficacité et de l’efficience de l’action des personnels de santé scolaire est impossible. Le
pilotage du dispositif est alors aveugle.
C’est pourquoi la Cour recommande la publication d’un rapport annuel sur la santé
scolaire et la mise en place d’un Conseil de la santé scolaire qui pourrait entre autres missions
prendre l’initiative de faire réaliser des évaluations externes.
Le cloisonnement des personnels consacré par le ministère en 2015
alors que leur collaboration est indispensable
L’approche sanitaire d’une population exige la collaboration articulée des acteurs de santé
concernés, il n’existe aucune raison qu’il en soit autrement pour la santé scolaire. Or ce n’est
pas ce principe généralement admis qui a prévalu dans le dispositif scolaire : les quatre métiers
qui y contribuent interviennent de façon segmentée et sont gérés en tuyaux d’orgue dans des
services séparés. Ce cloisonnement a été consacré comme un principe d’organisation de la politique de
dépistage : alors que la loi de 20133
avait pour objectif de faire progresser le service public de
santé scolaire, les modalités d’application retenues par l’arrêté du 3 novembre 20154
ont donné
un coup d’arrêt à la collaboration qui s’était instaurée de facto entre médecins scolaires et
personnels infirmiers. Depuis cet arrêté, la visite médicale de la 6e
année relève du seul médecin
(sans mention du bilan infirmier, associé jusque-là à cette visite, qui permettait au médecin de
voir beaucoup plus d’élèves) tandis que les infirmiers sont chargés du bilan de la 12e
année.
Ce choix, à contrecourant de l’évolution retenue pour tout le reste des dispositifs et
professions de santé, a contribué à la forte dégradation du service public. Ce cloisonnement
dommageable est l’aboutissement insatisfaisant d’une histoire administrative compliquée,
marquée par des rattachements alternés entre les ministères de l’éducation et de la santé qui ont
peiné à articuler leurs priorités. Il est surtout la conséquence d’une réponse excessive à des
pressions catégorielles faisant prévaloir des approches par métier, qui prises isolément peuvent
avoir leur justification, au détriment d’une vision globale des besoins de la santé scolaire.
Il est temps de dépasser ces obstacles pour respecter les objectifs donnés par la loi au
système éducatif.
Créer des services de santé scolaire pour unifier l’intervention des personnels
La Cour recommande de revenir à une vision globale de la gestion de la santé scolaire et
de ses personnels.
Il s’agirait de créer un service de santé scolaire dans chaque rectorat et chaque DSDEN,
en en confiant la direction à un inspecteur d’académie pour animer la collaboration des
différents métiers. De tels services doivent être l’occasion de mettre en place un management
global aujourd’hui absent mais aussi d’apporter aux professionnels de santé des conditions de
travail sensiblement améliorées : systèmes d’information performants permettant le travail
coordonné et sources de véritables gains de productivité, centres médico-scolaires à rénover en
renouant les liens distendus avec les collectivités territoriales, dotation de personnels de
secrétariat indispensables, équipement médical et bureautique facilitant le travail en itinérance.
La vocation de tels services est de revoir le partage et l’organisation des tâches entre
médecins de l’éducation nationale et personnels infirmiers, principalement afin de créer les
modalités de coopération pour la visite médicale de la 6e
année et pour la visite médicale
préalable à l’affectation des élèves mineurs à des travaux réglementés.
Le travail en équipes pluri-professionnelles serait aussi l’occasion d’allouer plus de
moyens au premier degré, mal couvert par les services infirmiers et sociaux. Si ces personnels
peuvent être déjà présents dans les écoles, parfois à hauteur de 50 % de leur temps, cette
répartition reste sur le plan national très contrastée et aléatoire et n’est pas organisée selon un
plan de service à l’échelle départementale.
3
Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la
République.
4
Arrêté du 3 novembre 2015 relatif à la périodicité et au contenu des visites médicales et de dépistage obligatoires
prévues à l'article L. 541-1 du code de l'éducation. Collaborer avec les agences régionales de santé et l’assurance maladie
pour utiliser des informations et moyens disponibles
Pour réaliser leurs objectifs, les services de santé scolaire doivent développer une
contractualisation systématique avec leurs partenaires : agences régionales de santé (ARS) et
leurs délégations départementales, assurance maladie, collectivités territoriales, associations de
prévention. En l’état actuel de la démographie médicale, il est illusoire de penser que les
objectifs nationaux de dépistages peuvent être atteints sans la construction de tels liens.
Ainsi une articulation accrue des dépistages obligatoires de la 6e
année de l’enfant avec
les dépistages déjà réalisés par la médecine de ville ou hospitalière, pris en charge par
l’assurance maladie et retracés dans le carnet de santé de l’enfant, est indispensable. Cette
articulation permettrait de mieux utiliser le résultat des suivis médicaux déjà réalisés hors
l’école.
Les cadres nationaux propices à de telles collaborations existent d’ores et déjà.
Les ARS ont décliné, par des conventions académiques, la convention cadre de
partenariat en santé publique de 2016 ; il reste à traduire de manière systématique cette
collaboration dans des partenariats opérationnels entre les délégations départementales des
agences et les DSDEN, qui pourraient porter non seulement sur les actions collectives
d’éducation à la santé mais, selon les besoins locaux, sur le soutien aux dépistages et l’accès
aux soins dans les territoires où cet accès est restreint. La participation des services de
l'éducation nationale aux contrats locaux de santé devrait devenir systématique.
Une convention nationale entre l’éducation nationale et l’assurance maladie a été
récemment conclue : elle apporte un cadre d’une grande richesse d’actions de prévention pour
les écoles et les établissements scolaires. Les services de santé scolaire devraient avoir mission
d’explorer avec les caisses primaires (CPAM) toutes les possibilités de partenariats locaux qu’il
s’agisse de l’accès des élèves, avec la prise en charge par l’assurance maladie, à des examens
de dépistage ou à un parcours de soins.
Pour mener cette profonde révision de l’organisation de la santé scolaire, le ministère
comme ses services devront s’adosser à un Conseil de la santé scolaire qui apportera son appui
éthique, déontologique et scientifique pour assoir sur des bases solides la collaboration des
personnels et la coopération avec la médecine de ville.
Au terme de son enquête, les observations de la Cour la conduisent à formuler un
ensemble de recommandations solidaires, l’unification et l’identification du service de santé
scolaire dans des conditions propices à l’exercice les missions propres qui lui sont dévolues
constituant le prérequis d’une mobilisation effective et efficiente des partenariats de
l’écosystème plus large de la santé publique, qui s’impose.